Le Monde du 26/9/2025 – Les Restos du Coeur de Gennevilliers

28 septembre 2025

Cet article est paru dans le journal le monde du 26 Septembre 2025, pour célébrer les 40 ans de la création des restos du cœur par Coluche

Voici les témoignages de Betty Bénévole à Gennevilliers, extrait de l’article :

Betty

« Je n’aurais jamais dû y être. Betty s’excuse du regard pour ce «hasard », cette « coïncidence », qui lui offre aujourd’hui une lumière dont elle se passerait bien. Elle préférerait que ses collègues s’expriment à sa place, mais elle est la seule à pouvoir remonter le temps et revenir sur une aventure singulière : cette retraitée de 76 ans (qui n’a pas souhaité donner son nom) est l’une des dernières mémoires des tout premiers jours des Restos du cœur, inaugurés par Coluche (1944-1986), à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), en 1985. A l’époque, Betty a 36 ans et une « petite voisine » qui travaille à RTL. Un jour, elle m’a dit : «Viens, tu vas voir, ça va te plaire ! » J’ai suivi, comme ça, pour voir… »

Tout en disposant des gâteaux marbrés devant elle dans le centre des Restos du cœur de Gennevilliers, désormais installé dans une ancienne école, Betty précise ne pas avoir entendu cet appel en direct. Mais ses rediffusions, les jours suivants, vont faire écho chez elle, et chez de nombreux Français …

Betty la bénévole, elle, n’a jamais eu besoin de passer de l’autre côté de la table, qu’elle garnit de compotes et de boîtes de chocolats. « Mais ça aurait pu » glisse-t-elle. Sa vie fut une lutte permanente à partir de ses 13 ans, quand elle quitte les siens et rejoint Paris pour éviter tout futur à l’usine. A l’époque, elle rêve de devenir infirmière, histoire d’aider les autres », mais elle doit se résoudre à prendre un travail dans les assurances pour subvenir rapidement aux besoins de sa famille…

«J’ai le souvenir d’un chapiteau blanc, mais il paraît qu’il était blanc et bleu, note Betty, songeuse. La mémoire, parfois, vous joue des tours. En tout cas, c’est là que j’ai découvert la misère. J’avais idée que ça existait, mais pas à ce point.»

Marquée par l’expérience hors norme vécue en 1985, Betty s’est tournée vers Les Restos du cœur en 2009, au moment de prendre sa retraite. Le temps était venu, pour elle, de s’engager durablement comme bénévole. Depuis, elle distribue les gâteaux et les compotes aux 2 000 bénéficiaires du centre de Gennevilliers

« D’année en année, j’ai l’impression de voir toujours plus d’enfants venir ici », constate Betty. Moins de 25 ans, familles monoparentales, mais aussi travailleurs pauvres, chômeurs en fin de droits, retraités et migrants, les demandeurs d’aides sont de plus en plus nombreux. Depuis les années 1980, les crises se sont enchaînées, après les subprimes, le Covid-19. l’inflation a creusé les endettements. Si bien qu’en 2023 et 2024 Les Restos du cœur distribuaient encore 163 millions de repas à 1,3 million de personnes, dont 128 000 bébés de 0 à 3 ans. C’est vingt fois plus de paniers-repas que lors de la toute première campagne, en 1985.

« Ce qui change aussi, c’est l’ambiance. Je la trouvais beaucoup plus détendue à l’époque. Et Coluche n’y était pas pour rien. Il tutoyait tout le monde, donnait des surnoms ou faisait le pitre. Un cageot de salades sur l’épaule, il faisait semblant d’être déséquilibré et criait: « Attention ça va tomber ! » Les gens s’écartaient en riant. » C’était l’un des mantras de l’humoriste : s’engager avec sérieux, sans se prendre au sérieux. «Il avait un tel réseau que je ne suis pas surprise que ça ait continué après sa mort [dans un accident de moto, le 19 juin 1986]. Par contre, je ne m’attendais à ce que ça dure autant d’années. »  Son «idée comme ça » n’était, en effet, pas censée durer. Et pourtant.

« Tout est encore là, écrivait le chanteur Jean-Jacques Goldman, en 1986. Intact. Sauf lui. »  Quarante ans plus tard, ses mots sonnent toujours aussi juste.